Dessiner son horizon éditorial – Enseigner le graphisme (2)

Est venu le temps de la préparation des enseignements que j’évoquais dans mon précédent billet : la construction et la conduite d’un atelier « projet éditorial en bande dessinée » destiné à mes étudiants de Master. Mon objectif est de leur permettre non seulement de donner corps à une production graphique (ce qu’ils savant déjà faire, tous travaillant déjà en alternance dans le cadre d’une maison d’édition) mais de les inviter à nourrir l’actuelle proposition en matière de bandes dessinées. De devenir une véritable force de proposition, à l’instar des nombreux étudiants qui les ont précédés et opérés à l’heure actuelle dans des maisons qui font vivre le neuvième art et œuvre à sa diversité. Et il y a tout lieu de se féliciter de cet état de fait qui montre que la culture graphique, et plus précisément la bande dessinée, sont aujourd’hui chose bien mieux partagées que par le passé (elle était affaire de « spécialistes », voire de marginaux, lorsque j’ai commencé le métier d’éditeur).

Génération graphique ? Kid Paddle a 30 ans

Parodie de carte Pokémon présentant le personnage de Kid Paddle, joueur de console invétéré, nourri aux séries animées. Créé par Midam en 1993, le personnage apparaît dans le n°2887 de Spirou et a aujourd’hui plus de 30 ans. Couronné de succès depuis, il fait même des petits à travers la série Game over mettant en scène son avatar virtuel.

Figure 1.Midam, « Pokemon Kid Paddle 27 », 6 avril 2013. URL : https://www.mypokecard.com/fr/Galerie/Pokemon-kid-paddle-27 (consulté le 22 avril 2024). © MAD Fabrik et Midam

Evolution majeure il y a en effet, et nos étudiants d’aujourd’hui ne sont pas dans une situation comparable à ceux qui les précédèrent il y a une décennie ou plus : dotés d’une culture visuelle nettement plus étoffés, ils baignent dans un environnement véritablement « médiagraphique ». S’étant familiarisés avec le livre par le biais d’une offre d’albums jeunesse nettement plus qualitative et diversifiée qu’auparavant, leurs loisirs furent construits en partie autour de séries animées provenant du Japon ou d’ailleurs mais devenant le foyer de véritables « communautés » et ils sont familiers de jeux vidéo de tous types mobilisant dans tous les cas des univers dessinés. Ce portrait-robot à grands traits s’inscrit dans un phénomène déjà visible dans l’ouvrage que j’avais dirigé et qui exploitait l’étude nationale de 2011 sur le lectorat de bande dessinée : on assiste à l’émergence d’une culture de l’image nourrie par le dessin. Et plus que de « population connectée », il faudrait parler de « générations graphiques » jouant avec et se jouant de toutes sortes d’interfaces pour naviguer au sein d’un monde tracé.

L’horizon graphique : un objectif

Popeyerough ou la rencontre de deux monuments graphiques (Popeye et Leonard)

Figure 2.James, « En direct de la cuisine », 10 septembre 2009. URL : http://ottoprod.over-blog.com/page/9 (consulté le 22 avril 2024). © Ottoprod et James

« Abondance de biens ne nuit pas », comme dit le proverbe, mais elle nous invite à faire des choix. Au sein d’un paysage éditorial devenu pléthore graphique, il s’agit d’affirmer une singularité que ce soit pour le lecteur qui doit être à même de repérer de nouvelles propositions grâce à une pertinente mise en visibilité, pour le libraire (en ligne ou magasin) qui entend proposer à la vente des ouvrages attractifs et bien explicités (par le biais d’argumentaires et autres documents commerciaux), et bien évidemment pour l’éditeur. Tel est l’objectif de mon enseignement : inviter les étudiants à se construire un horizon graphique. Composé à partir des livres qu’ils auraient aimé contribuer à élaborer, celui-ci peut leur permettre de mettre à profit le regard aiguisé et la familiarité avec les productions dessinées dont ils font preuve au quotidien.

La ligne éditoriale : valoriser l’art graphique

Si le temps où la bande dessinée était réduite aux « petits Mickey » est révolu, le personnage (et leurs rivalités éditoriales) reste un élément graphique prépondérant.

Figure 3. James, « Une grande famille », 2 avril 2008. URL : http://ottoprod.over-blog.com/article-18383433.html (consulté le 23 avril 2024). © Ottoprod et James

Dans mon esprit, cet horizon graphique a vocation à permettre d’établir une forme de hiérarchie vis-à-vis de l’ensemble des savoir-faire qu’ont d’ores et déjà acquis mes étudiants. Que ce soit en termes de fabrication (où on leur a présenté les contraintes et logiques d’un imprimeur), vis-à-vis de la disponibilité souhaité pour leurs ouvrages (modélisé par le biais d’un compte d’exploitation leur permettant de calculer des tirages et éventuels retirages), ou encore de commercialisation (présentation aux libraires et différents prescripteurs) : ils possèdent d’ores et déjà des compétences que l’exercice professionnel leur permettra d’affiner. Je souhaite qu’ils puissent mettre celles-ci au service d’un horizon et tel est le propre de ce que l’on nomme une ligne éditoriale : des aspirations qui doivent composer avec des ressources qui n’ont rien d’illimitées, qu’elles soient financières (tirages et promotions, autant de coûts précédant toute possibilité de vente), techniques (édition ou fabrication de livres graphiques n’ayant vraiment rien de simple) et artistiques (le ou les auteurs étant la plus rare et précieuse des ressources).

Se positionner sur le marché : un exercice qui n’a rien de simple

Figure 4. Salma et Libon, Animal lecteur (tome 1). Ca va cartonner ! Dupuis, 2010, p.8 (extrait). © Dupuis et les auteurs.

La ligne éditoriale est ainsi à la fois une forme de boussole stratégique pour l’éditeur qui s’engage dans une production de livres graphiques et une carte d’identité pour libraires et lecteurs qui sont susceptibles d’acquérir ces ouvrages. Afin d’inviter les étudiants à la déterminer, je leur propose une forme de jeu en leur livrant des portraits-robots d’éditeurs de bande dessinée. Volontiers stéréotypés, ceux-ci invitent les étudiants à ne pas les adopter tel quel mais à se les approprier ; conçus comme datés, ils les invitent également à investir leur temps éditorial. Bref : à se constituer des persona, pour parler comme Marianne Abromovici qui affectionnent ces fictions se situant à l’intersection des organisations et des individus. Lors de la première séance, ils seront donc invités à constituer des groupes de travail autour des imaginaires éditoriaux suivants.

Toka Toki

L’ADN de Toka Toki, c’est l’ouverture à l’Asie et à toutes sa diversité. Nous publions des séries sans interdits : lecteurs de tous âges, genrés ou non-binaires, sont tous les bienvenus. Variété de tons et de thématiques : ce qui retient notre attention, c’est une personnalité graphique et un solide sens de la narration. Coréens, japonais ou européens, cosmopolites, nos auteurs se retrouvent autour des mêmes valeurs : embarquer leurs lecteurs, proposer des récits qui deviendront les leurs.

La marque jaune

La marque jaune a écrit l’histoire de la bande dessinée. De Tantan à Spipou en passant par Tokyo Uno et Taf et Tordu, nous avons publié les classiques de l’art graphique. Convaincus qu’une bande dessinée, et tout livre, ne doit jamais mourir, nous valorisons un patrimoine par de nouvelles éditions et faisons constamment une place à de nouvelles créations. Passion de l’album que l’on prend plaisir à collectionner, talent graphique et passion de coloristes : telles sont nos valeurs artistiques.

La communauté

La liberté de création est devenue un exception. Dans La Communauté, on accueille débutants ou confirmés. Le seul ticket d’entrée est un dessin singulier et la volonté de cultiver une liberté de ton et de trait. Convaincus que les auteurs peuvent seuls comprendre les auteurs, des créateurs éditent des bandes dessinées qui démontrent que nos crayons sont pleins d’inventions. Nos collections (formats, séries, couleur ou non) sont pensées pour lecteurs et libraires partageant nos valeurs.

Wizzy

Transmedia, mediamix, goodies… Peu importe. Chez Wizzy, on dessine et on imagine. Des jeux (WOW c’est ringard, mais FF7 forever), des livres (on a beau dire, Naruto…), des cartes, des jeux de plateau… L’idée c’est d’écouter notre communauté. Vous n’êtes pas dupes, vous voulez de la qualité. Et si vous passez du pad au manga, c’est parce qu’on a tous plein de choses à se raconter. On vous propose des contenus et on adore vous écouter.

Ballographic

Ballomard défend toutes les littératures. L’Illiade, notre célèbre collection, et Ballographic, notre collection de livres dessinés, partagent une même position : une édition au service de la création, soucieuse d’assurer sa pérennité. Nous proposons aussi bien des classiques de la littérature revisités par des illustrations d’auteurs renommés que des œuvres de bande dessinée explorant de nouveaux territoires graphiques et littéraires. Avec dans tous les cas, une même volonté : proposer des œuvres d’exception.

Futurables

Homme, femme, autre ? Blanc, noir, métisse ? Réchauffement, transitions, quel avenir ? Chez Futurables, on a le regard au loin car penser « demain » c’est avant tout repenser notre quotidien. Essais dessinés, enquêtes sous forme graphique, portraits et témoignages en bande dessinée, dossiers pédagogiques richement illustrés pour petits et grands… Notre crédo : une information et une prospective de qualité sous une forme accessible à tous.