Le geste éditorial – Enseigner le graphisme (1)

Enseignant-chercheur, j’assure comme tous mes pairs des enseignements ayant vocation à valoriser mes recherches selon des modalités qui restent sans cesse à redéfinir. Dans le cadre de cette série de billets, je vais m’attacher à l’une d’entre elles : le projet, qui sera au centre de l’enseignement dont j’ai la charge au sein du Master « Politique éditoriale » de l’Université Sorbonne Paris Nord (Villetaneuse). L’ambition de cours dont j’ai la charge est en effet clairement définie : inviter les étudiants à concevoir un projet éditorial s’inscrivant dans le champ de la bande dessinée. Et cette activité est donc l’occasion de prendre du recul vis-à-vis des nombreux textes que j’ai édités (en créant et dirigeant Comicalités. Etudes de culture graphique), des articles que j’ai écrits (disponibles sur HAL-SHS) et des ouvrages que j’ai produit que ceux-ci aient trait à des publics (La bande dessinée : quelle lecture, quelle culture ?), à des auteurs (Styles de la bande dessinée avec Jacques Dürrenmatt) ou à un mode de publication (Editer la bande dessinée).

Comicalités, 14 ans après : quelle recherche ?

Page d’accueil de la thématique « La bande dessinée : un art sans mémoire ? », publication des actes du colloque du même titre que j’ai organisé les 10 et 11 juin 2010 à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense.

Figure 1. URL : https://journals.openedition.org/comicalites/7445 (consulté le 8 avril 2024).

Prendre du recul, ou plutôt adopter un autre point de vue : celui de l’étudiant et du futur professionnel puisque nous formons les éditeurs de demain (et d’aujourd’hui lorsque je regarde notre riche réseau d’alumni). L’objectif est donc de contribuer non seulement à la compréhension et à la connaissance, mais également à l’enrichissement d’une édition graphique. Théorique/pratique, fondamental/appliqué, recherche/professionnel : autant de notions souvent convoquées dans le cadre de l’enseignement supérieur qu’il s’agit donc d’appréhender non au regard d’oppositions mais de complémentarités afin d’embrasser les tenants et aboutissants du mode de production (c’est-à-dire de création, de conception, de diffusion et de présentation au lectorat) de la bande dessinée. Positionnement qui fait sans doute sens plus qu’ailleurs dans le cas de l’art graphique, trop souvent selon moi délaissé dans les cursus universitaires, et ce même dans le cas de disciplines comme l’information et la communication.

L’art graphique : un enseignement qui reste encore à penser ?

Page d’accueil du groupe Facebook « de l’ancien Master BD (Université de Poitiers / EESI Angoulême) [qui] a tenu à garder ce nom pour mémoire » puisque la formation est désormais fermée.

Figure 2. URL : https://www.facebook.com/groups/786839998018264/ (consulté le 8 mars 2024).

Les cursus graphiques seraient-ils dès lors l’apanage des écoles d’art et de design dans le cas des arts visuels, ou d’informatique et de cinéma dans le cas du jeu vidéo et du cinéma d’animation ? Force est en tout cas de reconnaître que l’identité de ces établissements repose sur une capacité à mêler ces différentes approches et à organiser des rencontres entre recherche et création (sur le modèle de l’école d’art), théorie et prototypage (design d’objets et d’espaces) ou encore approche d’un média et production (audiovisuel graphique). Mais, pour tirer le meilleur parti de cette ouverture, il faut sans aucun doute retenir les enseignements du passé : création puis fermeture de filières « communication » dans de nombreuses écoles d’art (dont celle de Paris-Cergy, où j’ai enseigné) et mauvaise coopération entre établissements relevant de tutelles différentes (comme dans le cas du défunt « Master BD » d’Angoulême, partenariat entre une Ecole Européenne de l’Image et du Son relevant du Ministère de la culture et une université de Poitiers relevant de l’Enseignement Supérieur).

Le graphisme : quelle certification ?

Page d’accueil du site consacré au diplôme national des Métiers d’Arts et du Design (MADE).

Figure 3. URL : https://dn-made.com/ (consulté le 8 avril 2024)

Reste alors à valoriser des modes de certification encore bien jeunes : créé en 2018 suite à la réforme des cursus des métiers de l’art, le diplôme nationale Métiers d’Arts et du DEsign (MADE) peine encore à trouver une réelle reconnaissance ainsi que le diplôme Supérieur d’Arts Appliqué (DSAA) et ses nombreuses spécialités dont « Design éditorial multisupport », « Design typographique » ou encore « Design graphique et narration multimédia »… C’est d’autant plus dommage que ces diplômes nationaux servent une ambition que peinent parfois à atteindre nos licences ou Masters universitaires : informer un geste, c’est-à-dire forger une capacité d’action et de création grâce à l’étude de traditions, pratiques, conceptions ou innovations propres à des métiers, outils et réalisations de toutes sortes et parfois de toute provenance.

Le geste éditorial

Figure 4.Couverture de mon ouvrage Editer la bande dessinée.

Enseignant longtemps dans le « Master BD » d’Angoulême, je contribuais avec toute l’équipe pédagogique à affiner le geste de futurs auteurs, nourri des « traits » de ceux qui les ont précédés, diffusé grâce aux encres et autres moyens de fixation à leur disposition et produit grâce aux multiples formes que peut prendre cet outil que l’on ne saurait résumer par le terme de « crayon » tant il est susceptible de mobiliser numérique, poil, plume, graphite, textile… Et tout cela à la fois. Enseignant dans le master « Politiques éditoriales » de Villetaneuse, l’objectif est de permettre à d’autres futurs professionnels de constituer un geste éditorial, nourri de la connaissance d’un média et d’une capacité à s’approprier ses modes de fonctionnement. Soient deux gestes dont il s’agit de penser les coïncidences et interdépendances, tout dessin supposant fabrication, tout ouvrage nécessitant diffusion et toute création information et sensibilisation d’un lectorat donné.

Bibliographie (qui sent l’auto-promotion : toutes mes excuses)

BERTHOU, Benoît (dir.), 2015. La bande dessinée : quelle lecture, quelle culture ? Paris : Éditions de la Bibliothèque publique d’information. ISBN : 978-2-84246-217-8. Disponible en open access. URL : https://books.openedition.org/bibpompidou/1671 (consulté le 8 avril 2024). DOI : https://doi.org/10.4000/books.bibpompidou.1671

BERTHOU, Benoît, 2016. Éditer la bande dessinée. Paris : Éditions du Cercle de la Librairie, « Pratiques éditoriales ». Disponible sur le portail CAIRN. ISBN : 9782765414858. DOI : 10.3917/elec.bert.2016.01. URL : https://www.cairn.info/editer-la-bande-dessinee–9782765414858.htm

BERTHOU, Benoît. DURRENMATT, Jacques (dir.), 2019. Style(s) de la bande dessinée. Paris : Classiques Garnier. ISBN : 9782406069614